BAKHITA
Véronique Olmi
Bakhita est une biographie romancée – très peu – ou, mieux, une biographie écrite comme un roman.
Une petite fille de sept ans est enlevée dans son village du Darfour, alors que sa sœur jumelle échappe à l’enlèvement. À cinq ans, elle avait déjà assisté à l’enlèvement de Kishmet, sa sœur de quatorze ans. Emmenée comme esclave, avec d’autres, elle marche longtemps dans les déserts et les forêts, sur neuf cents kilomètres. L’espoir de retrouver sa sœur aînée – même esclave quelque part dans les rues de Khartoum – lui permet de supporter les mauvais traitements. (Peu importe si les esclaves meurent : la « marchandise » est assez nombreuse.) Elle est achetée par différents maîtres qui parlent différentes langues. Au point qu’elle en oublie la sienne, comme elle oublie son nom. Elle appartient d’abord à un riche arabe qui la destine à être la domestique de sa fille, puis à un général turc. Ce dernier ordonne que Bakhita soit scarifiée selon la méthode du tatouage par incision. Une femme dessine des motifs sur sa peau avec de la farine, coupe sa peau avec une lame en suivant ces motifs, puis emplit les plaies de sel pour que les cicatrices restent marquées. Le général turc vend tous ses esclaves au début de la guerre des mahdistes.
À la chute de Khartoum, elle est acquise par le consul d'Italie à Khartoum, Calisto Legnani qui la traite comme un être humain. Mais elle ignore combien de temps il la gardera, car pour elle il est devenu normal de changer de maître. D’ailleurs, celui-ci rentre en Italie en emmenant un jeune garçon, Indri, qu’il compte offrir à un de ses amis en Italie. Bakhita parvient à convaincre le consul de l’emmener avec lui.
À la violence extrême, fait place une violence plus subtile, celle de la déchirure, de la séparation. En quittant l’Afrique, Bakhita sait qu’elle ne retrouvera jamais sa sœur ni sa famille. Et les séparations vont se multiplier.
Si le lecteur peut comprendre les souffrances passées, il ne peut que les imaginer, n’ayant jamais été esclave ou torturé ; mais il peut ressentir la douleur des séparations.
Ils embarquent pour l’Italie avec une autre famille, les Michieli. Arrivés à Gênes, Madame Michieli demande à garder Bakhita à son service.
Madame Michieli qui n’a pas encore pu garder un enfant, accouche d’une petite fille, Alice, surnommée Mimmina. Alors que celle-ci est sur le point de mourir, Bakhita la sauve en aspirant les glaires qui encombrent sa gorge. Elle en devient ensuite la nounou à laquelle la petite fille est très attachée.
Les Michieli rentrent quelque temps au Soudan en confiant Mimmina et Bakhita aus religieuses canossiennes. Bakhita y découvre la foi catholique tout en s’occupant de la petite fille.
Lorsque les Michieli retournent définitivement au Soudan où ils ont ouvert un hôtel, Maria Michieli veut que Bakhita les accompagne pour continuer à s’occuper de Mimmina.
Pour la première fois – et la seule foi – de sa vie, Bakhita ose dire « non » (« Je sors pas. » et refuse de partir malgré le nouveau déchirement qu’elle éprouve en abandonnant l’enfant et les insulte de la mère. L’affaire est portée en justice et Bakhita obtient gain de cause puisque l’esclavage n’existe pas en Italie.
Bakhita est baptisée et devient religieuse. L’obéissance lui est facile, puisqu’elle l’a toujours connue. Mais elle reste un objet. Objet de crainte, puis de curiosité. Elle ne change plus de maître, mais ses fonctions changent : cuisine, lingerie, sœur portière.
À la demande de la sœur supérieure, elle raconte sa vie à une dame qui écrit des articles dans la revue des Sœurs canossiennes. Cela devient un feuilleton, puis un livre qu’on lui demande de présenter, alors qu’elle ne parle que son langage à elle, le « mélange » : dialecte du Darfour, arabe, turc, vénitien officiel et dialectal. Elle devient un objet de propagande pour recueillir des fonds pour les missions, puis pour Mussolini lui-même (avant les lois raciales).
Elle décède le 8 février 1947 et est canonisée en 2000.
Elle n’aura trouvé une illusion de liberté que dans l’acceptation de son sort.
Bakhita
Albin Michel, 2017
464 p.
EAN : 9782226393227
La lettre écarlate
Nathaniel Hawthorne
Nathaniel Hawthorne est né en 1804 à Salem et mort en 1864 à Plymouth.
William Hathorne, son arrière-arrière-arrière-grand-père, était un puritain qui émigra d'Angleterre. Il devint un membre éminent de la colonie de la baie du Massachusetts et occupa plusieurs fonctions politiques, ainsi que celles de magistrat et de juge, où il se rendit célèbre par la sévérité de ses jugements. Son fils, John Hathorne, arrière-arrière-grand-père de l'auteur, fut l'un des juges assesseurs au procès des sorcières de Salem (1692-1693).
À la suite de la découverte de ce fait, vers l'âge de 20 ans, l'auteur aurait ajouté un « w » à son nom afin de se dissocier de ses ancêtres.
Après avoir exercé plusieurs métiers, en 1846, Hawthorne est officiellement nommé au bureau des douanes, période relatée ds l'introduction de La lettre écarlate.
L'action du roman se situe entre 1642 et 1649. Il commence par une longue introduction (35 pages) dans laquelle le narrateur expose son travail au bureau de la douane. (N.B. On découvre le « système des dépouilles » qui consiste au remplacement des fonctionnaires ayant servi sous le gouvernement précédent afin de s’assurer la loyauté des nouveaux. Hawthorne a été « victime » de ce système et sa révocation fut un événement particulièrement discuté en Nouvelle-Angleterre.)
Quand l’histoire commence enfin, elle relate l'histoire d'Hester Prynne, une jeune femme vivant dans une communauté puritaine de la colonie de la baie de Massachusetts.
Hester Prynne, au début du roman, se voit condamnée par la société à porter sur la poitrine la lettre « A », qui symbolise l'adultère. En effet, elle est accusée d'avoir péché avec un homme du village, dont elle refuse de dévoiler le nom, et d'avoir eu un enfant avec lui.
Au même moment, son mari légitime revient après de longues années d'absence dans la communauté de Boston et découvre que sa femme est accusée de la plus infâme des trahisons. Lui, sous le nom de Roger Chillingworth, est médecin et a vécu avec les autochtones, ce qui a révélé sa nature sauvage et cruelle.
Celui-ci veut venger son honneur et se jure de retrouver le coupable, car il refuse que sa femme endure seule la punition infligée par la société intolérante dans laquelle ils vivent. Il exige qu'elle lui dise le nom du père de l'enfant. Hester refuse mais jure de ne pas révéler aux gens de la ville que Chillingworth est son mari.
Roger Chillingworth se doute qu'il s'agit, en réalité, du pasteur de la communauté, Arthur Dimmesdale. En effet, celui-ci semble rongé par la culpabilité, vit replié sur lui-même et se flagelle en guise de punition.
Il se jure alors de le pousser à bout pour le faire avouer ou même pour que celui-ci en vienne à se suicider.
Bien que méprisée par les autres citoyens, Hester continue à mener une vie relativement peu mouvementée et continue à vivre sa vie de couturière, subvenant à ses besoins et à ceux de son enfant.
Découvrant les manoeuvres de son mari, elle essaie de mettre le pasteur en garde contre celui qui s'est imposé en « ami » auprès du pasteur. Dimmesdale, indifférent à son propre sort, ne réagit pas et se laisse consumer par la culpabilité. Il finira par avouer sa faute en plein jour, sur le pilori, avec Hester Prynne et leur fille Pearl à ses côtés, ne pouvant plus vivre avec ce fardeau qui le rongeait un peu plus chaque jour.
Mes lectures 2022
- Grimm, Frères : Contes merveilleux 1 - 134 p. (31/12)
- Barbey d'Aurevilly : Le Chevalier des Touches - 250 p. (22/12)
- Yasmina Khadra : L'outrage fait à Sarah Ikker - 237 p. (14/12)
- Jean Ray : Le grand nocturne - 430 p. (5/12)
- Franz Hellens : Mélusine ou la robe de saphir - 368 p. (25/11)
- M.C. Beaton : Agatha Raisin 4 : Randonnée mortelle - 131 p. (17/11)
- Élise Fischer : Mystérieuse Manon - 420 p. (11/11)
- W.W. Collins : La morte vivante - 302 p.(28/10)
- Élise Fischer : Nous, les detrniers mineurs - 123 p. (17/10)
- Walter Scott : Le nain noir - 286 p. (12/10)
- Bernard Tirtiaux : Aubertin d'Avalon - 254 p. (3/10)
- Franck Andriat : La ramplaçante - 133 p. (22/9)
- John Connolly, Le chant des dunes - 549 p. (12/09)
- Sheridan Le Fanu : Le hobereau maudit et autres contes 275 p. (27/8)
- M.C. Beaton : Agatha Raisin 1 : La quiche fatale 189 p. (19/8)
- Divers auteurs : À propos de Don Juan - 171 p.(14/8)
- Jean Muno : Histoires singulières - 154 p. (5/8)
- M.C. Beaton : Agatha Raisin " : Pas de pot pour la jardinière - 245 p. (28/7)
- Guy de Maupassant : Récits de guerre et de défaite, suivi de, L'Angélus - 249 p. (20/7)
- Jean-Paul Malaval : Les compagnons de Malataverne - 484 p. (12/7)
- Isabelle Eberhardt : Notes de routes : Maroc - Algérie - Tunisie - 240 p. (2/7/)
- Michel de Grèce : Le Rajah Bourbon - 248 p. (26/6)
- André-Marcel Adamek : La fête interdite - 183 p. (20/6)
- André Gide : L'immoraliste - 181 p. (15/6)
- John Grisham : Les Oubliés - 412 p. (12/6)
- Jean-Paul Malaval : L'auberge des diligences - 485 p. (25/5)
- André Gide : Isabelle -80 p. (15/5)
- André Gide : Amyntas - 85 p. (12/5)
- André Gide : Si le grain ne meurt... - 266 p. (9/5)
- Victor Hugo : Bug-Jargal - 211 p. (2/5)
- André Gide : L'école des femmes suivi, de, Robert, et de, Geneviève - 147 p. (26/4)
- Henri Bosco : Le mas Théotime - 446 p.(21/4)
- Raymond Radiguet : Le bal du comte d'Orgel - 75 p. (14/4)
- Berbard Tirtiaux : Noël en décembre - 212 p. (9/4)
- Théophile Gautier : Le club des Hachichins et Avatar - 127 p. (4/4)
- André Gide : Coryson - 143 p.(30/3)
- Luc Dellisse : Le tombeau d'une amitié : André Gide et Pierre Louÿs - 69 p. (27/3)
- Bernard Tirtiaux : Pitié pour le mal (relecture) - 230 p. (24/3)
- Bernard Tirtiaux : L'ombre portée - 141 p. (20/3)
- John Grisham : La sentence - 664 p. (16/3)
- Albert Camus : Le malentendu (théâtre) (relecture) - 90 p. (10/3)
- Bernard Cornwelle : Waterloo : chronique d'une bataille légendaire - 280 p. (9/3)
- Anne Jacobs : Retour à la villa aux étoffes - 456 p. (28/2)
- Daphné Du Maurier : L'Auberge de la Jamaïque - 439 p. (10/2)
- Johan Goethe : Les Complices (théâtre) -115 p. (31/1)
- Walter Scott : L'Antiquaire - 1013 p. (30/1)
- Johan Goethe : Nouvelle - 44 p. (4/1)
- Johan Goethe : Les souffrances du jeune Werther - 255 p. (3/1)
Mes lectures 2021
- Johan Goethe : Le frère et la soeur (théâtre) - 48 p. (23/12)
- Johan Goethe : Le caprice de l'amant (théâtre) - 53 p. (17/12)
- Tom Joad : Les Marais de la colère 1 - 266 p.(12/12)
- Carlos Ruiz Zafon : Marina - 214 p. (11/12)
- Robert Harris : Conspirata - 428 p. (2/12)
- Johan Bouret : Dans la gueule du loup - 352 p. (23/11)
- Anne Brönte : Agnès Grey - 194 p. (16/11)
- Anne Jacobs : L'héritage de la villa aux étoffes - 475 p. (7/11)
- Anne Jacobs : Les filles de la villa aux étoffes - 530 p. (21/10)
- Anne Jacobs : La villa aux étoffes - 486 p. (5/10)
- Jessie Burton : Les filles au lion - 484 p. (25/9)
- Pierre Mélon : Circonstances et motifs de la disparition de Ian Lears - 134 p. (18/9)
- John Grisham : Les imposteurs - 467 p. (14/9)
- Armel Job : La disparue de l'île Monsin - 204 p. (9/9)
- Claude Seignol : Le rond des sorciers - 237 p. (4/9)
- Joseph Kessel : La première Guerre mondiale - 103 p. (29/8)
- Walter Scott : Guy Mannering - 1010 p. (23/8)
- Julian Fellowes : Belgravia - 342 p. (9/8)
- Christiana Moreau : La sonate oubliée (28/7)
- Sophocle : Œipe Roi (théâtre) (25/7)
- Nathan Perry : Les récits interdits (21/7)
- Ron Stallworth : Le Noir qui infiltra le Ku Klux Klan (18/7)
- Armel Job : Et je serai toujour avec toi (13/7)
- Carson Mac Cullers : La ballade du café triste (2/7)
- Maurice Leblanc : L'île aux trente cercueils (28/6)
- Maureen O' Donoghue : Ma terre, mon héritage (condensé) (15/6)
- Serge Bramly : Le réseau Melchior (condensé) (21/5)
- Agatha Christie : Trois souris (condensé) (8/6)
- Émile zola : Pot-Bouille (7/6)
- Shalom Auslander : La lamentation du prépuce (18/5)
- Aldous Huxley : Le meilleur des mondes (3/5)
- Elena Ferrante : La vie mensongère des adultes (13/4)
- Toni Morrison : L’œil le plus bleu (16/3)
- Philippe Raxon : Le complot des philosophes (7/3)
- Colson Whitehead : Undergrouns Railway (15/2)
- Ann Radcliffe : L'Italien ou Le confessionnal des pénitents noirs (8/2)
Belgravia
Julian Fellowes
Quelques jours avant la bataille de Waterloo, James Trenchard, responsable de l’intendance du duc de Wellington, se trouve à Bruxelles avec sa femme Anne et sa fille Sophie. Trenchard est un commerçant en pleine ascension sociale et quelque peu vaniteux, ou, du moins, il a l’ambition d’entrer dans la haute société. (Ce sera son principal souci tout au long du roman.)
La nuit du 15 au 16 juin 1815, le duc et la duchesse Caroline de Richemont organisent un bal resté célèbre auquel participent, entre autres, le duc de Wellington et le prince d’Orange mais aussi Edmund Bellasis, fils unique du comte et de la comtesse de Brockenhurst, qui est amoureux de Sophia Trenchard. Grâce à lui, Trenchard réussit à se faire inviter.
Anne met en garde sa fille contre ses ambitions amoureuses, mais l’amour semble réciproque.
Un peu avant minuit le bal est interrompu car Napoléon est aux portes de Bruxelles. À la sortie, Anne entend Sophia pousser un cri étouffé. « Sa fille observait le groupe de soldats, mais elle-même n’en reconnut aucun. À la question de sa mère, trop bouleversée, elle ne put que secouer la tête. » (p.19) Le lendemain, elle ne quitta pas sa chambre. Deux jours plus tard, on apprend qu’Edmund est mort au combat. « Tous ses beaux rêves étaient réduits à néant. Sophia avait-elle eu raison, et Bellasis avait-il eu des intentions honorables à son égard ? Ou, comme la soutenait Anne, Sophia n’avait-elle été pour lui qu’une jolie poupée avec laquelle s’amuser alors qu’il était en garnison à Bruxelles ? Ils ne le sauraient jamais. » (p. 22)
1841. On apprend que Sophie avait cru qu’Edmund avait organisé une cérémonie de mariage avec Sophia. Mais, à la sortie du bal, elle avait reconnu, parmi les soldats, celui qui avait joué le rôle de pasteur et conclu que son mariage n’était qu’un simulacre. Enceinte, elle mourut en couche après avoir donné naissance à un garçon, Charles, qui fut confié à la Famille Pope.
Grâce au sens des affaires de James, les Trenchard, qui se sont élevés sur l’échelles sociale, se sont installées dans le nouveau quartier de Belgravia, où ils sont les voisins des Brochenhurst qui ignorent tout de leur petit-fils.
Anne Trenchard confie l’existence d'un petit-fils, Charles Pope, à Lady Brockenhurst, qui refuse de croire que son fils ait pu manigancer une telle supercherie. Lady Brockenhurst, dont le mari déplore l’absence d’héritier, organise une soirée à laquelle elle invite Charles Pope, qui n'a aucune idée de ses parents biologiques. Les Trenchard, dont leur fils Oliver et sa femme Susan, sont également invités. Les autres invités sont le neveu de Lady Brockenhurst, John Bellasis, l'héritier présomptif, et Lady Maria Grey, sa fiancée. Lorsque Charles Pope arrive, Lady Brockenhurst le présente et découvre que James Trenchard a investi dans l'entreprise de Pope en tant que négociant en coton, au grand étonnement de sa femme Anne. Le volage John Bellasis a des visées sur Susan, tandis que Pope est séduit par Lady Maria Grey, fille de la comtesse douairière de Templemore.
L’intérêt que porte Lady Brockenhurst à Charles Pope suscite des interrogations – et des jalousies – parmi les membres des deux familles : Stephen Bellasis, frère du comte, criblé de dettes que son frère refuse de payer et son fils John ; Oliver Trenchard qui se sent rejeter par son père au profit de cet inconnu. De son côté, Lady Maria déclare renoncer à épouser John Bellasis pour convoler avec Charles Pope ; elle devra combattre le refus de sa mère qui ne veut pas la voir épouser un bâtard, même s’il réussit dans la vie.
Belgravia est un roman agréable à lire où l’on retrouve l’atmosphère de Downton Abbey avec les mesquineries, le mépris pour ceux d’une autre classe, l’opposition entre les serviteurs et les maîtres – deux sociétés qui se côtoient mais restent bien séparées – un roman qui m’a parfois rappelé Pot-Bouille de Zola.
La sonate oubliée
Christiana MOREAU
Seraing, en Belgique, est une ancienne ville industrielle avec des « ruelles transversales quadrillant un quartier ensommeillé dans l’abandon des fermetures d’usines. […] Le tout dernier haut-fourneau vient de fermer après des décennies de déclin. » Mais les autorités communales ont décidé de rénover ce chancre industriel par la construction d’appartement, bureaux, centre commercial, pistes cyclables, espaces piétonniers et zones vertes. C’est ce décor en chantier que traverse Kévin, un adolescent, pour se rendre chez son amie Lionella.
À 17 ans, Lionella, d’origine italienne, ne vit que pour la musique. Alors qu’elle n’avait que 5 ans, ses parents l’avaient inscrite à un cours de violon. « Son grand-père avait emporté son violon dans ses maigres bagages d’émigrés : il sonnait comme une crécelle mais l’avait consolé du mal du pays. » Son frère aîné pratiquant déjà le violon depuis quelque temps, elle se disait qu’elle ne pourrait jamais le rattraper et n’avait d’ailleurs pas envie d’entrer en compétition avec lui. Après deux ans d’hésitation, elle se tourna vers le violoncelle. « Déjà toute petite, elle se sentait en osmose avec cet instrument si sensuel qu’on enlace presque comme un corps. »
Mais aujourd’hui, elle a un souci : son professeur l’a inscrite à un prestigieux concours et elle ne sait quelle pièce jouer. Quelques jours plus tard, son ami Kévin lui offre un coffret métallique qu’il a déniché chez les brocanteurs et qui contient un livret et une liasse de papiers jaunis. Le livret, rédigé en italien ancien mais que Lionella parvient à déchiffrer, se révèle être le journal intime d’Ada qui vécut au 18e siècle. Quant à la liasse, c’est une partition pour violoncelle dans le style des sonates de Vivaldi. Lionella a trouvé le morceau à présenter au concours.
Dès lors, l’histoire se raconte à deux voix : celle de Leonella qui vit aujourd’hui et celle d’Ada au 18e siècle.
Abandonnée à sa naissance, Ada a été déposée à l’Ospedale della Pietà de Venise. Une mère nourricière employée par la Pietà l’éleva pendant trois ans. Ensuite elle rejoignit les filles de l’hospice qui y étaient employées selon leurs aptitudes : les moins douées soignaient les malades, fabriquaient des objets d’artisanat, comme dentelles et broderies vendues au profit de la Pietà. Toutes devaient rester et travailler à l’ospedale jusqu’à leurs quarante ans afin de rembourser les soins qu’on leur avait apportés. Plus douée, Ada apprit la couture et la broderie mais aussi la lecture, l’écriture les mathématiques, le latin et, surtout, la musique, sous la direction de l’abbé Vivaldi à qui elle voue une grande admiration.
Alors qu’elle a environ 17 ans, le Maître commande pour elle un nouveau violoncelle chez son luthier préféré Mateo Gofriller. Le précieux instrument bouleverse sa vie « par sa beauté, son élégance, sa profondeur, sa noblesse majestueuse, la chaleur de ses vibrations. […] Sa place est entre mes cuisse, je l’attire tout contre moi et l’entoure de mes bras. Dès que je le touche de l’archet, il frémit, dévoile son chant grave et fait vibrer mon cœur. Ce sortilège qui m’emporte loin de la réalité me fait goûter à de divines voluptés. »
Tout en s’entraînant à jouer la sonate, Leonella poursuit petit à petit la lecture du journal d’Ada avec qui elle se sent de plus en d’affinités.
Après maintes hésitations, Leonella fait part à son professeur de son choix pour le concours et lui présente la copie qu’elle a faite de la Sonate pour violoncelle. Le professeur connaît les ospedali vénitiens et la qualité de leur enseignement musical. Mais il craint les difficultés pour faire authentifier le document sorti de l’oubli et, surtout, il serait trop tard pour le concours. Tous deux décident de présenter l’œuvre comme une sonate pour violoncelle de Vivaldi, sans autre précision ; ni le public, ni le jury ne la reconnaîtront, ce sera la surprise.
La surprise est telle que, bien que n’ayant remporté que la deuxième place, les médias s’intéresse plus à elle qu’au lauréat. Elle est invitée à jouer lors d’une soirée de gala au cours de laquelle, elle reçoit en prêt, pour cinq ans, « un splendide violoncelle Gofriller qui, ironie du sort, la ramenait une fois de plus vers Ada. »
Mais en continuant la lecture du journal d’Ada, certains éléments font douter Leonella de la paternité vivaldienne de l’œuvre. Je laisse au lecteur le plaisir de découvrir la vérité.
La sonate oubliée est le premier roman de Christiana Moreau et pour un coup d'essai, c'est un coup de maître. À la façon dont elle parle de la musique et des techniques de jeu, j'étais convaincu que l'auteure était elle-même musicienne. Et bien non ! À la fin du livre, une très brève biographie m'a appris que si elle est quand même une artiste belge autodidacte et vivant à Seraing, son art est la peinture et la sculpture.
La sonate oubliée
Christiana Moreau
Paris : Librairie Générale Française, 2017
249 p. ; 18 cm.
ISBN 978-2-253-23804-1
Édition numérique : 183 p. - ISBN 978-2-253-90490-8
Mes lectures 2020
- John, Grisham : L'affaire Pélican (8/12)
- Stanislas-André Steemen : La maison des vieilles (23/11)
- Daniel Defoe : Robinson Crusoe (16/11)
- Daniel Pennac : Chagrin d'école (11/11)
- John Le Carre : Retour de service (25/10)
- Yoko Ogawa : La formule préférée du professeur (4/10)
- Armel Job : Le conseiller du roi (21/9)
- Panaït Istrati : Les récits d'Adrien Zagroffi tome III (9/9)
- Armel Job : Le bon coupable (3/9)
- Panaït Istrati : Les récits d'Adrien Zagroffi tome II (30/8)
- Panaït Istrati : Les récits d'Adrien Zagroffi tome I (24/8)
- John Grisham : Les chroniques de Dord County (19/8)
- Boualem Sansal : 2084 (13/8)
- Petros Markaris : Épilogue meurtrier (3/8)
- James Runcie : Sidney Chambers et le problème du mal (29/7)
- Walter Scott : Waverley (20/7)
- John Grisham : L'idéaliste (29/6)
- William Wilkie Collins : Le secret (18/6)
- André Pieyre de Mandiargues : Le lys de mer (6/6)
- John Grisham : Le cas Fitzgérald (5/6)
- Barbara Abel : Je t'aime (30/5)
- Caroline Laurent : Rivage de la colère (25/5)
- Stefan Zweig : La pitié dangereuse (16/5)
- Michelle Obama : Devenir (9/5)
- Stefan Zweig : Brûlant secret, suivi de 3 nouvelles (28/4)
- William Wilkie Collins : La Dame en blanc (en lecture)
- John Grisham : Le Clandestin (15/4)
- Oscar Wilde : Le portrait de Dorian Gray (8/4)
- Patrick Bouchet : L'ordre des maîtres solaires (1/4)
- Oscar Wilde : Le crime de Lord Arthur Saville (27/3)
- Stefan Zweig : Lettre d'une inconnue, suivi de 3 nouvelles (23/03)
- Graham Masterton : La maison de chair (21/03)
- Graham Masterton : Le portrait du mal (13/03)
- Vincent Engel : Les Diaboliques (24/02)
- Eva Schloss : Journal d'une survivante (19/02)
- Vincent Engel : Maramisa (14/02)
- Christophe Burgeon : Trajan, l'empereur soldat (09/02)
- Guillaume Musso : Seras-tu là ? (26/01)
- Émile Zola : Le ventre de Paris (18/01)
Dans les replis nocturnes de mon cœur
Françoise LALANDE
Comme un torrent au printemps, coule la colère de Françoise Lalande face à la douleur humaine : celle des enfants violentés, des individus à la douleur aussi banale qu’eux-mêmes ou celles des personnages célèbres dont l’Histoire, souvent, maquille les cicatrices : Rousseau, Rimbaud, Van Gogh, …
Ce recueil de dix nouvelles met en présence des personnages aussi bien inconnus que célèbres, Parfois dans le même texte, l’auteur met en présence des personnalités qui ne se sont jamais rencontrées ailleurs, comme Van Gogh et Rimbaud. Leur point commun : la souffrance et la solitude. Tous ont subi une violence, parfois brutale, parfois plus subtile mais toujours invalidante, voire fatale.
Dans la première nouvelle éponyme du recueil, un obscur violoncelliste misanthrope se retrouve attaché sur une voie de chemin de fer presque désaffectée. Ses agresseurs ont-ils été mandatés par un autre violoncelliste qu’il envie et à qui il envoie des lettres anonymes pour critiquer sa façon d’interpréter Bach ? Ou par cet artiste peintre américain qu’il soupçonne d’être l’amant de sa femme et qu’il a dénoncé à la police, toujours anonymement ? Son seul réconfort au cours de cette nuit est la curiosité qu’il inspire à une chatte sauvage qu’il appelle Chipe. C’est à elle qu’il va pourrait-on dire se confesser. Il espère aussi que cette agression n’est qu’une mauvaise plaisanterie car, heureusement la ligne de chemin de fer est désaffectée. Enfin, presque.
Les deux nouvelles suivante, Une passion, et Quelque chose de bleu sont une approche très freudienne de Rousseau, Jean-Jacques et « Mme de Warens, la femme généreuse livrée à des pulsions peu avouables, dans les bras de laquelle il connut à regret ce qu’était une femme » (p.36) mais aussi François son frère aîné. « […] François connut les pincements de la jalousie quand un homme provoqua le rire de sa mère, il aimait l’heure où sa mère lui lisait une histoire, car on y parlait immanquablement d’amour, on y évoquait des femmes sauvées des méchants et qui, en récompense offraient leur cœur et leur corps à leurs sauveurs, et lui, l’enfant qui ne comprenait pas vraiment de quoi il retournait, mais qui subissait une visible émotion des sens, lui, François jurait qu’il défendrait toujours sa mère, la nuit venue, allongé seul dans son lit, il livrait sa mère à des périls réservés aux femmes, il la plongeait dans des situations les plus dégradantes qui soient, afin de se repaître de l’image des vêtements épars […] » (p.30) « […] il détesta son père dont la seule vue le tourmentait, très vite il détesta sa mère qui accueillait le père […] (p.32)
L’homme qui aimait aborde le thème de la solitude dans le couple, l’amour à sens unique, quand les messages d’amour émis ne sont pas perçus par l’autre. « […] je ne parlerai pas d’elle, de ma mère, parce que, aujourd’hui, je suis hantée par son image à lui, par cet homme qui un jour l’a épousée et qui, à partir de ce jour, a vécu dans une solitude dont le souvenir me terrifie […] » (p.51) Il se dévoue à sa femme, pourtant moins malade que lui. Alors qu’elle le visite à l’hôpital, il mendie un tout petit signe d’amour : « […] il s’est brusquement penché vers elle et a déclaré Je t’aime beaucoup, et elle, je la voyais de dos, a dû sourire, a dû fermer les yeux, mais n’a rien répondu, alors, lui, épuisé par une si longue attente, a mendié Et toi ?, que s’est-il passé à cet instant, quel regard a-t-elle eu ou pas eu, ou pire que tout, de quelle façon a-t-elle répondu Moi aussi, de sorte que son corps à lui a été projeté en arrière comme sous l’effet d’un coup, […] (p.55)
La mauvaise humeur est très mauvaise conseillère et un mouvement d’humeur peut faire basculer une vie. Tel est l’idée de La reine des truands. Le petit garçon au camion nous rappelle qu’il y a des trains qu’il vaut mieux rater. « […] au cœur d’un été chaud, gare du Nord, sur le quai où un train pour Ostende referme ses portes, je vois arriver, avec l’air éperdu de ceux qu’un danger pourchasse, une femme et son petit garçon, […] il serre contre sa poitrine un gros camion de plastique […] ils arrivent trop tard, le train démarre sous leur nez, alors le petit garçon au camion et sa maman le regardent partir, comme s’ils avaient été insultés et qu’ils ne savaient que répondre à l’insulte, et moi, sur le quai, je vois leurs dos de vaincus, voilà, les pauvres auront quelques heures de moins à la plage, c’est vrai, le monde ne va pas s’arrêter de tourner pour si peu […] (p.68) Pourquoi cet incident banal attriste-t-il tellement la narratrice ? « […] je revois un train que je n’ai jamais vu en réalité, mais que je connais bien, parce qu’à force d’entendre raconter son départ de Malines avec la cousine préférée de ma mère à son bord, une jeune femme condamnée à mort par la Gestapo, c’est comme si je l’avais vu, ce train, et avec lui, le train qui a emmené René vers un autre camp, […] je comprends enfin que je pleure sur les petits garçon et les mamans qui n’ont pas raté leur train. » (p.70)
La dernière nouvelle, la plus longue, Ils venaient du Nord et ils étaient beaux, met en parallèle Arthur Rimbaud et Vincent Van Gogh. Certes, tous deux venaient du nord « […] là où le catholique en carême ressemble à l’austère protestant […] (p.75) Mais est-ce suffisant pour les rapprocher ? On ne s’en étonnera pas si l’on se souvient qu’après tout, Rimbaud aussi peignait… les voyelles. A noter que l’auteure insert dans son propre texte des extraits de lettres de Vincent à son frère.
Comme je le disais au début, c’est bien comme un torrent que les phrases charrient la révolte de Françoise Lalande, laquelle semble fâchée avec les points. D’où une lecture difficile ; aucune interruption n’est permise sous peine de devoir relire tout le chapitre.
Après quelques pages, toutefois, le lecteur s’habitue et corrige lui-même la ponctuation.
Dans les replis nocturnes de mon cœur
Françoise Lalande
Bruxelles, Le Grand Miroir, 2005
Nouvelles, 102 pages
La maison des vieilles
S.-A. STEEMAN
Dans les années 1920, à Bruxelles, dans un vieil hôtel particulier transformé en immeuble à appartements, on découvre le cadavre d’un homme que ne connaît aucun des habitants : une religieuse, un vieux baron qui aime faire la fête, un jeune homme tout à fait correct et sa sœur qui le materne, une divorcée , un inspecteur de police désabusé, un auteur de livres pour enfants avec ses femme et sa fille, une femme qui craint qu’une vieille malversation de son mari ne se découvre enfin, et un couple d’émigrés russes.
Des Russes, il y en a plusieurs – très éloignés de ceux auxquels Joseph Kessel nous a habitués. Le roman m’a d’ailleurs fait penser à un roman russe, vu la multitude de personnages parmi les quels j’ai eu un peu de mal à me retrouver. (J’ai même failli abandonner ma lecture.)
Mais le personnage principal est sans doute la maison elle-même.
L’auteur s’attache à décrire les multiples habitants de la maison qui devient le huis-clos où se déroule l’intrigue souvent interrompue par de petits tableaux de la vie quotidienne d’un immeuble bruxellois. Ce qui m’a fait penser à La vie mode d’emploi de George Perec. Si certaines scènes ont lieu en dehors, comme au palais de Justice ou dans un cabaret russe, elles réunissent cependant les mêmes acteurs, les habitants de l’immeuble.
La Maison des vieilles n’est pas le roman de S.-A. Steeman que j’ai préféré. L’intérêt de cette réédition de 2018 chez Espace Nord, est qu’elle présente, outre une préface de Jean Van Hamme, un hommage de Stéphane Steeman à son père et une postface de Jacques Dubois, qui m’a permis de mieux comprendre le roman. J’aurais préféré la lire en premier si le coupable n’y était pas suggéré.
L’ouvrage se termine par 3 extraits d’œuvres où il est question de maisons : Pot-Bouille d’Émile Zola, Malpertuis de Jean Ray et, bien sûr, La vie mode d’emploi de George Perec.
Stanislas-André Steeman
La Maison des vieilles
Espace Nord 2018
320 p. ; 19 cm
ISBN : 978-2-87568-426-4