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Lectures de Jacques Paradoms
1 septembre 2007

Arria Marcella : Souvenirs de Pompéï

Théophile GAUTIER

LA NOTION DE FANTASTIQUE

Le fantastique, c'est l'hésitation éprouvée par un être qui ne connaît que les lois naturelles face à un événement en apparence surnaturel.

(V. TODOROV)

 Fictions réaliste et imaginaire

 Contrairement aux biographies ou aux ouvrages d’histoire, dépeignant une réalité qui s’impose à la volonté de l’auteur, les œuvres de fiction sont le fruit de l’imagination de l’artiste.  Cet imaginaire peut cependant s’inspirer du réel  c’est la fiction réaliste.  A l’inverse, certains écrivains préfèrent parfois entraîner le lecteur loin du quotidien et du vécu : c’est la fiction imaginaire.

Cette dernière peut se décliner sur trois modes distincts mais qui s’interpénètrent souvent : le merveilleux, le fantastique et la science-fiction.

Ces trois modes ne sont pas apparus en même temps.

A l’origine, il y a le mythe.  En se laïcisant, à partir de la Renaissance, il engendre le merveilleux qui permet à l’homme de pénétrer dans un autre monde, propice à ses désirs. Avec le fantastique, apparu en même temps que le Romantisme,  le rêve devient cauchemar.  Et à l’époque de la révolution industrielle, la science-fiction naît du développent des techniques.

Sans doute en réaction à l’excès de rationalisme du siècle des lumières, dès la fin du 18esiècle, on relève des précurseurs de la littérature fantastique, auteurs de romans “noirs” ou “gothiques” : Walpole en Angleterre avec “le Château d’Oronte” (1764), Cazotte en France avec “le Diable amoureux” (1772) (encore qu’il s’agisse d’un fantastique “expliqué” (cf. infra), en Angleterre encore, Ann Radcliffe (“les Mystères d’Udolphe” - 1794) et Monk Lewis (“le Moine” - 1796).

 Distinction entre merveilleux, fantastique et science-fiction

Il est pratiquement impossible de définir avec précision ces trois genres, chacun en ayant sa propre conception.  Il est vrai que la frontière qui les sépare est très floue, surtout entre la science-fiction et le fantastique : “Frankenstein” qui, au premier degré est incontestablement de la science-fiction (un savant crée un homme), est cependant “revendiqué” par les amateurs de fantastique.  C’est donc sans doute moins le thème abordé qui différencie les genres que la façon dont il est traité.

  

Merveilleux

Le merveilleux entraîne le lecteur dans un autre univers soumis à d’autres lois que le lecteur accepte comme postulat (l’existence des fées ou le pouvoir de la magie ne sont pas mis en doute).  L’époque et le lieu sont imprécis (“Il était une fois, dans un pays lointain...”).  Le dénouement est fermé, heureux et souvent moralisateur (victoire du “bon” sur le “méchant”).  La psychologie y est élémentaire, les personnages étant des archétypes.

Fantastique

Avec le fantastique, nous restons dans notre monde, notre quotidien,  mais où surgit, dans un univers cohérent, un élément irrationnel.  Contrairement à l’imprécision des contes merveilleux, les descriptions sont hyperréalistes.  Le dénouement est souvent ouvert ou tragique.  La morale y a peu de place (même le monstre peut inspirer de la sympathie ou, tout au moins de la pitié, car il est souvent lui-même victime).  Ce peut cependant être l’occasion d’une réflexion philosophique (“Frankenstein”).  L’auteur s’attache aux émotions des personnages, ou tout au moins du héros.

N.B.  Le dénouement peut parfois être heureux et l’élément surnaturel expliqué, par exemple par la folie du héros ou par la science (“le Château des Carpathes”).  Je considère qu’il s’agit là de “faux fantastique”.

Science-fiction

La science-fiction renoue, d’une certaine façon, avec la tradition du merveilleux : nous sommes souvent (mais pas toujours) dans un monde différent du nôtre, fondés sur l’invention technologique et biologique.  L’époque est le plus souvent future (anticipation).  Ce fut surtout le cas dans les premières oeuvres.  Même contemporaine, en extrapolant la réalité scientifique, elle aborde un possible proche mais néanmoins futur.  Les personnages sont plus analysés dans la place qu’ils occupent au sein de la société que dans leur individualité (sauf s’ils s’opposent à cette société).  La science-fiction a d’ailleurs souvent été utilisée comme satire sociale déguisée (“Les Voyages de Gulliver”) ou comme utopie (“Le meilleur des mondes”).

N.B.  La “Science-fiction” de Jules Verne a cessé d’être de la fiction.  Les œuvres actuelles qui traitent des manipulations génétiques risquent aussi d’être “dépassées” à court terme.

 Conclusion

On peut donc définir le fantastique comme étant l’intrusion d’un élément irrationnel qui rompt la cohésion universelle.  Il se différencie des autres genres par une approche psychologique des personnages, là où le merveilleux fait de la morale et la science-fiction de la sociologie.

 

THÉOPHILE GAUTIER

Romancier et nouvelliste, Théophile Gautier (1811-1872) fut d’abord l’élève du peintre Rioul.  Présenté par Nerval à Victor Hugo, il abandonne la peinture pour la littérature.

Fervent romantique, il participe à la bataille d’”Hernani” (1830).  Il commence à imiter Byron en Musset dans le poème fantastique “Albertus” (1832).  Mais son originalité se révèle dans la préface de “Mademoiselle de Maupin” (1835-1836) où il attaque le romantisme idéaliste et social et oppose à la théorie alors en vogue de l’art utilitaire le culte de la beauté et de l’art pour l’art (“Émaux et Camées” - 1852). Par son art aussi beau qu’“inutile”, il ouvre la voie à la poésie des Parnassiens.

Sa formation de peintre transparaît dans ses poèmes “España” (1845), ses récits de voyages  : “Voyage en Espagne” (1843), “Voyage en Russie” (1867) - et ses romans : “le Roman de la momie” (1858), “le Capitaine Fracasse” (1863).

  

Son œuvre fantastique

Son premier récit fantastique “La Cafetière” date de 1831.  En 1839, il publie “Une Larme du diable” contenant entre autres “Omphale” et “La Morte amoureuse”.  Le Pied de momie”  date de 1840.  En 1850, il voyage en Italie où il visite notamment Naples et publie “Arria Marcella : Souvenir de Pompéi” deux ans plus tard.  Spirit” est son dernier récit fantastique (1866).

Contrairement à d’autres auteurs qui ne produisirent des œuvres fantastiques qu’occasionnellement (Balzac, p.e), Théophile Gautier n’écrivit pas de fantastique seulement parce que le genre était à la mode.  Il y revint régulièrement tout au long de sa carrière, poussé par une inquiétude métaphysique dont il ne se cache pas : “L’évocation amoureuse qu’exprimait la jeune femme rentrait dans les croyances d’Octavien, croyances que nous ne sommes pas loin de partager.”

ARRIA MARCELLA

L'argument

     En visitant Pompéi au clair de lune, un jeune homme a la chance de voir la ville revivre.  Il retrouve une jeune femme dont il a vu l’empreinte du corps au musée de Naples et vit une idylle avec elle.  L’hallucination terminée - et qui ne se reproduira plus lors de son prochain voyage - il en reste amoureux pour la vie.

  

Éléments fantastiques

      Le lecteur contemporain n’accepterait pas d’être confronté au fantastique sans préparation psychologique.  Aussi, la plupart des auteurs commencent-ils par conditionner son subconscient, principalement à l’aide des descriptions d’ambiance et d’images subliminales.  C’est ce que fait Théophile Gautier lorsqu’au début de l’histoire, il écrit : “Il faisait une de ces heureuses journées [...] qui semblent fabuleuses dans le Nord, et paraissent appartenir plutôt au monde des rêves qu’à celui de la réalité.  Quiconque a vu [...] cette lumière [...] en emporte [...] une incurable nostalgie.”  Toute l’histoire, jusqu’à son dénouement, est résumée dans ce seul paragraphe.  Il est de même lorsqu’il brosse, par petite touches, le profil psychologique du héros : en parlant des femmes, alors que “Fabio ne faisait cas que de la beauté”, et que “Max [...] n’aimait, lui, que les entreprises difficiles”, Octavien “avoua que la réalité ne le séduisait guère” : “il y avait autour de toute beauté trop de détails prosaïques et rebutants.”  Et quand Fabio devine qu’Octavien “tentait de sortir du temps et de la vie, et de transposer son âme au siècle de Titus”, le lecteur est prêt.

     Malgré toute cette préparation, l’intrusion du fantastique est progressive : le fantôme d’Arria Marcella ne surgit pas brutalement au milieu des ruines.  Celles-ci semblent d’abord se restaurer lentement avec la complicité de la lumière lunaire qui “dissimule la dégradation des édifices”.  On ne remarque plus les colonnes tronquées et “les parties absentes se complétaient par la demi-teinte”.

     Après les choses, les êtres : Octavien croit parfois percevoir de vagues formes humaines et des chuchotements qu’il attribue à “quelque papillonnement de ses yeux, à quelque bourdonnement de ses oreilles”.  Il pense aussi que ses camarades le cherchent.  Pourtant “cette explication toute naturelle, Octavien comprenait à son trouble qu’elle n’était pas vraie”.

 

     Enfin, en passant devant une maison vue le jour, il la voit “dans un état d’intégrité parfaite” comme si “un mystérieux reconstructeur avait travaillé bien vite”.  Toute la ville est restaurée lorsque le jour se lève; les historiens se sont trompé; l’éruption n’a jamais eu lieu.

     Le fantastique est complet lorsque la ville commence à s’animer et que ses habitants antiques le saluent. Devant son latin à l’accent parisien, le lecteur ne peut plus douter qu’Octavien est réellement transporté au 1ersiècle.

     A ce stade, convaincu qu’il baigne dans l’irrationnel, l’impossible, Octavien a le choix entre la peur et le ravissement.  Sa nature romantique l’emporte.  S’avisant de l’époque exacte par une inscription d’édilité gravée sur une muraille (79 p.C.n.), il réalise que la femme dont il a admiré l’empreinte au musée de Naples doit être vivante.

     Pendant plusieurs pages, l’auteur nous livre une description précise et réaliste de la vie quotidienne pompéienne qui ne peut que convaincre le lecteur de l’authenticité de l’aventure.  Lorsqu’Octavien suit la servante d’Arria Marcella jusqu’à la demeure de celle-ci, tout semble “normal” pour peu qu’on oublie (assez facilement) qu’on a basculé dans le temps.  Le seul détail étrange est qu’en dépit du vin qu’elle boit et qui lui colore les joues, le corps d’Arria reste froid.

     Arria Marcella rappelle elle-même qu’un pont a été jeté entre les siècles : du monde invisible où elle flottait, elle a senti l’émoi d’Octavien devant le morceau de boue durcie.  Ton désir m’a rendu la vie.

     A partir de cet instant, le fantastique aborde un thème différent : il ne s’agit pas, comme on le croyait jusqu’alors, d’un voyage dans le temps, mais bien d’une histoire de fantômes : Arria Marcella est morte; elle le sait; Octavien le sait.  Qu’importe : cet amour n’en est que plus grandiose.

     La mort de tous ces personnages est encore confirmée par les paroles d’Arrius Diomèdes : “Le temps de la vie n’a-t-il pas suffi à tes déportements, et faut-il que tes infâmes amours empiètent sur les siècles qui ne t’appartiennent pas ?  Ne peux-tu laisser les vivants dans leur sphère  [...] ?  Deux mille ans de mort ne t’ont pas calmée [...]”

     Après la grande scène d’amour du repas, l’aventure tourne au cauchemar (= climax) : “Octavien, pâle, glacé d’horreur, voulut parler, mais sa voix resta attachée à son gosier [...]”  Mais l’horreur provient, non de la situation, mais de la seule colère du père, non du fantôme, qui entoure Octavien “de ses beaux bras de statue, froids, durs et rigides comme le marbre” et dont “la beauté furieuse [...] rayonnait avec un éclat surnaturel [...] comme pour laisser à son jeune amant un inéluctable souvenir”, mais bien de la “formule d’exorcisme qui fit tomber des joues d’Arria les teintes pourprées [...]”

     On peut s’interroger sur ce qui rompt le charme et désintègre Arria : la formule d’exorcisme prononcée par son père ou le son de la cloche, chrétienne et venue du 20esiècle.  Peut-être la formule permit-elle à son timbre de retentir jusqu’en cette belle journée de l’an 79.

     Lorsque ses amis le retrouvent évanoui, le lendemain matin, il ne donne d’autre explication que son désir de voir Pompéi au clair de lune et qu’il a “été pris d’une syncope qui sans doute n’aurait pas de suite”.  Explication décevante pour l’amateur de fantastique.  Heureusement pour lui, la “syncope” a des suites : le rêve laisse des traces dans la réalité et Octavien garde la nostalgie d’Arria.  S’il s’était agi d’un simple rêve, d’une hallucination, aurait-il pu en rester rétrospectivement amoureux ?

 

Le message : “La croyance fait le dieu, l’amour fait la femme

 

      Le fantasme de tout archéologue ou d’un simple intellectuel amoureux de l’histoire est non seulement de découvrir mais de voir vivre une antique cité.  Comme Marcel Brion dans “La Ville de sable”, Théophile Gautier use du fantastique pour “offrir” cette chance à son héros. Mais au-delà de ce thème, relativement répandu dans la littérature fantastique, “Arria Marcella” est l’occasion pour l’auteur d’exprimer certaines croyances : “rien ne meurt, tout existe toujours; nulle force ne peut anéantir ce qui fut une fois”.  Il y a, certes, les conséquences de nos actes, les œuvres accomplies qui, “tombée[s] dans l’océan universel des choses y produi[sen]t des cercles qui vont s’élargissant jusqu’aux confins de l’éternité”.  Mais si la figuration matérielle disparaît pour le commun des mortels, l’amour peut la restaurer : “Ton désir m’a ramené à la vie” et “on est réellement morte que quand on n’est plus aimée.”

     L’évocation des morts, non avec la participation d’un médium, mais par la seule force du désir amoureux semble un thème cher à Gautier.  Le plus souvent, l’initiative vient des morts eux-mêmes qui séduisent les vivants : Omphale sort de la tapisserie et commence par effrayer le jeune homme.  Il en est de même d’Angéla dans “La Cafetière” ou “Le Pied de momie”.  Dans “Arria Marcella”, ce sont les “élans insensés vers un idéal rétrospectif” d’Octavien qui suscitent la “résurrection” de la jeune femme qui répond à son désir.

 

Fantastique et Romantisme

      Toute fantastique que soit cette nouvelle, on ne peut ignorer l’époque à laquelle elle fut écrite (1852).  Le personnages d’Octavien porte les stigmates du romantisme : le “soleil noir de la mélancolie” d’un Nerval, la délectation morose d’un Lamartine au “cœur lassé de tout, même de l’espérance”.  On peut rapprocher sa personnalité de celle du narrateur de “Sylvie” de Nerval : “Nous étions ivres de poésie et d’amour.  Amour, hélas !  des formes vagues [...] des fantômes métaphysiques !  Vue de près, la femme réelle révoltait notre ingénuité ; il fallait qu’elle apparût reine ou déesse, et surtout n’en pas approcher.”

     Comme eux, Octavien fuit la réalité : “une gravure [...] suffisait pour arrêter chez lui une passion naissante.  Plus poétique qu’amoureux”, il préfère le cadre à son rendez-vous lui-même.  Il s’éprit ainsi tour à tour d’une “Passion impossible et folle pour tous les grands types féminins conservés par l’art ou l’histoire” : Hélène, Cléopâtre, Diane de Poitiers.

     Il annonce déjà Lord Evandale du”Roman de la momie” (1857) : de même qu’Octavien s’extasie devant l’empreinte d’Arria Marcella, “à l’aspect de la belle morte, le jeune lord éprouva ce désir rétrospectif qu’inspire souvent la vue d’un marbre représentant une femme du temps passé, célèbre par ses charmes”.  Pas plus que la jeune épouse anglaise d’Octavien ne pouvait “s’aviser d’être jalouse de Marcella, fille d’Arrius Diomèdes, affranchi de Tibère”, les “misses” ne peuvent “imaginer que Lord Evandale est rétrospectivement amoureux de Tahoser, fille du grand prêtre Pétamounoph, morte il y a trois mille cinq cents ans”.

     Théophile Gautier appartient à ces romantiques “passéistes” pour qui une gravure jaunie de femme est plus séduisante qu’une femme bien vivante (“La Cafetière”, “Omphale”).  Arria Marcella” illustre particulièrement bien le mot d’André Malraux pour qui être romantique, c’est “prendre au sérieux ses rêves” et vouloir que l’imaginaire appartienne à la réalité.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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Commentaires
C
Bonjour, en cours de français mon professeur nous à demander de faire une recherche. La question est : 'Pour Théophile Gautier à sous-titré Arria Marcella Souvenir de Ponpeï ?"<br /> <br /> Il me faudrait une réponse le plus vite possible j'en ai besoin pour demain. <br /> <br /> Voila merci d'avance.
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N
bonjour,ou estceque on pourrais voir le résumé de ce livre( un résumé bien détaillé que les enfants pourraient comprendre !? :$).
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E
After read blog topic's related post now I feel my research is almost completed. happy to see that.Thanks to share this brilliant matter.
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