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Lectures de Jacques Paradoms
4 septembre 2007

Amanscale

Maryline DESBIOLLES

Linda Groote émerge très lentement du sommeil. Ce samedi matin, elle ne travaille pas et prolonge cet instant trouble où rêve et souvenirs se confondent. « Elle garde les yeux fermés. Mais elle sait que de son lit on voit la mer » (p.11). « Depuis le balcon haut perché de son appartement, Amanscale lui est donnée, vaste et cependant réunie comme un orchestre qui jouerait pour la mer seule. » (p.23) La baie d’Amanscale évoque l’aisselle d’une nageuse de crawl : « des marins grecs l’apercevant depuis leur bateau et pensant soudain avec ferveur à leurs femmes laissées l’auraient rapproché d’une aisselle,… ce moment du corps si émouvant lorsqu’il se découvre et si puissamment affolant. » (p.12)
Au nord, le grand volcan sommeille : « On pourrait d’ailleurs ne pas croire au volcan comme on ne croit guère à l’origine du nom d’Amanscale ». La Baie, c’est la ville ; vers le volcan, c’est la zone, finalement pas plus hideuse que la ville. Pourtant Linda aime Amanscale, comme l’a rêvée son grand-père avant de s’y installer avec femme et enfants.
Elle a longtemps convoité cet ancien palace transformé en immeuble à appartements. La seule réussite de sa vie est d’avoir ainsi « donné tournure à sa passion unique, sa passion pour les hôtels », où elle peut « éprouver l’énormité de la solitude. » (p.18)
Car Linda est pétrie de solitude : « il lui avait fallu cependant connaître tellement de solitudes dans de si nombreuses villes avant de commencer à saisir un petit peu qu’elles étaient le prolongement de ce qui la liait à Amanscale. » (p.19)
Pendant les quarante pages de la première partie – « La Baie » –, Linda se souvient, rêve, se rêve. Dans la seconde partie – « Le Volcan » –, celui-ci se réveille. Linda fuit son immeuble, descend vers la ville où les gens s’attroupent, incrédules, avant de commencer à fuit. Linda fuit aussi, non pas le volcan mais la cohue et le bruit – vers le volcan. Dans la chaleur de l’éruption, c’est l’occasion de rencontrer ceux qu’on ne rencontre jamais. Plus tard, alors qu’elle s’est réfugiée dans la broussaille d’un talus, c’est encore l’occasion de déployer à nouveau les ailes des souvenirs d’enfance, enfouis comme des remords : la mort de son jeune frère venu l’attendre à l’arrêt d’un bus qu’elle n’a pas pris. « Le volcan contre toute attente s’est réveillé et elle est à se battre sous des ailes qu’elle repousse depuis tant d’années comme un mauvais rêve mais qui n’en battent pas moins éperdument, affolées d’être si longtemps retenues. » (p.107)
Après la lecture de ce roman onirique, écrit dans un style poétique, libéré des règles habituelles de ponctuation, aux phrases posées comme des bribes de pensées dans la demi-(in)conscience du réveil, on se demande encore si l’héroïne de Maryline Desbiolles a réellement vécu l’éruption ou si elle a rêvé quelque chose qui pourrait ressembler à Pompéi.

Marylie DESBIOLLES : Amanscale, Paris, Seuil, 2002, roman, 123 p.

Analyse réalisée pour la revue Indications 59e série, n° 3 – déc. 2001, pp.86-87
Reproduction autorisée moyennant mention de la source, sauf à des fins commerciales

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