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Lectures de Jacques Paradoms
5 septembre 2007

Retour à Montechiarro

Vincent ENGEL

 

Dans cette épopée familiale, Vincent Engel nous conte l'histoire de cinq générations qui ont traversé, plutôt mal que bien, trois moments forts de l'histoire de l'Italie : le Risorgimento, le fascisme et le temps des brigades rouges, avec la Toscane en toile de fond

1855. Le jeune Adriano Lungo quitte le village de Montechiarro pour la villa Bosca où vit le comte Bonifacio Della Rocca alors âgé de quarante-cinq ans. Adriano jette un regard sur sa région, "un pays somptueux dans son indifférence aux désarroi des hommes, qui portait le soleil comme une parure de fête, et, au loin, couronne de pierres sur sa colline, tenue à la plaine par des rubans de cyprès, Montechiarro, comme jamais encore Adriano ne l'avait contemplée, qui semblait n'attendre que les hommes pour être enfin heureuse, et qui peut-être l'était sans eux, malgré ses pierres branlantes et les viscissitudes de ses habitants..." (p.16) Il se promet de revenir. Le comte accepte de prendre en charge sa scolarité dans une école de Sienne, durant les vacances, il séjournera à la villa. Ce n'est qu'au cours des mois suivants qu'Adriano apprend peu à peu l'histoire du comte, un "homme encore jeune et manifestement vieilli par un drame intérieur" (p.17) : sa femme l'a quitté en lui laissant son fils Domenico (avec qui Adriano se lie d'amitié).
A trente-neuf ans, orphelin, Bonifacio Della Rocca est toujours célibataire. En 1849, il doit se rendre à Venise, alors occupée par les Autrichiens, pour apurer une dette qu'aurait contractée son père auprès d'Asmodée Edern, "un esprit foisonnant qui lui faisait la visite d'une vie élargie" (p.102). Et la vie de Bonifacio s'élargit : parmi ses nombreuses rencontres, la plus lourde de conséquences sera celle de la princesse Malcessati et de sa fille Laetitia, sous le charme de laquelle Bonifacio tombe immédiatement. Cependant, celle-ci aime un jeune Berlinois, mais sa mère s'oppose à cette idylle pour des raisons aussi mystérieuses qu'impérieuses et ne cesse de fuir pour éviter une nouvelle rencontre. Pour échapper aux éternelles fuites, Laetitia sollicite elle-même la main du comte. Bien que sachant qu'il ne sera jamais que le second dans le coeur de la jeune fille, il accepte. La Toscane apporte à Laetitia la sérénité, à défaut du bonheur, et Bonifacio ne désespère pas de gagner l'amour de sa femme. Quelques mois plus tard, elle donne naissance à Domenico... avant de s'enfuir avec le jeune Berlinois qui a retrouvé sa trace. "Le comte referma les portes de son coeur et de son âme sur la Toscane, sur cette villa qui abritait l'unique trace de cette insensée parenthèse vénitienne..."(p.140)
Propriétaire terrien et producteur avisé, Bonifacio s'allie avec un négociant, Umberto Coniglio. Tout aurait dû opposer l'aristocrate de vieille souche au nouveau bourgeois enrichi par son travail. Il en résulte une amitié indéfectible qui débouchera sur leur mort tragique et le malheur de leurs descendants. Leur alliance ayant provoqué la ruine de certains propriétaires, les fils de l'un deux tentent d'assassiner Umberto; celui-ci en tue un, met en fuite l'autre qui se dirige vers la villa Bosca; en voulant le protéger, il tombe sur le perron de son ami en même temps que lui.

La deuxième partie commence en 1919. Nous faisons la connaissance d'Agnese, la petite-fille unique de Bonifacio, et de Salvatore, petit-fils d'Umberto. Politicien opportuniste, bien que sans cesse en conflit avec son père, il tient le comte pour responsable de la mort de son grand-père (sans doute l'antagonisme entre les classes sociales, qu'avaient surmonté Bonifacio et Umberto, refait-il surface. Il n'a plus qu'une idée en tête : se venger de cette famille. A la mort de Domenico, Agnese n'a d'autre ressource que d'épouser son fils Salvatore qui éponge ses dettes mais dispose ainsi des biens de sa femme. Il s'empresse de vendre la ville Bosca.
Hormis Agnese, Ulysse (le fils d'Adriano) et Sébastien (que nous découvrirons plus loin), la plupart des personnages sont plutôt des anti-héros, fascistes par ambition, opportunisme ou simple lâcheté. Seul Salvatore Coniglio s'élève au-dessus de cette médiocrité... mais par la mauvaise voie : poussé par son ambition, il se donne tout entier – et sacrifie sa famille - à la nouvelle idéologie; il devient un militant dans l'espoir d'une reconnaissance qui se fera attendre. Il voue une haine particulière à Ulysse, l'ami - pourtant inoffensif - d'Agnese, peut-être parce qu'il est son seul ami. Il arrive à le faire déporter à Lipari. Par ruse, Agnese obtient l'autorisation du préfêt (qui a racheté la villa Bosca) de lui rendre visite. Mais elle est interceptée par les hommes de Ciniglio qui, à l'insu de tous, y compris de sa femme elle-même, dirige la police politique.
Ce voyage avorté, bouleversera cependant le cours de destin : dans le train, la jeune femme fait la connaissance d'un photographe belge : Sébastien. Quelques mois plustard, il est reçu par Coniglio à qui il consacre un article faussement élogieux. Agnese et Sébastion feignent de s'ignorer. Mais un amour aussi platonique qu'impossible est déjà né entre eux. Un jour, Sébastien promet à Agnese de lui racheter la villa Bosca.
Malgré son dégoût pour son mari, Agnese a deux enfants de lui : Anna et Michaella. Lui avoir donné des filles plutôt que des garçons constitue une sorte de vengeance pour Agnese. Mais Coniglio, à son tour, trouve en elles les instruments de sa vengeance : du viol qu'elles subissent Anna et Michaella ont chacune un enfant : Giovanni et Laetitia, dont nous découvrons l'histoire dans la troisième partie.
Giovanni est membre des brigades rouges et projette d'assassiner un ancien fasciste notoire : le fils du notaire qui avait violé sa mère. Michaella s'est réfugiée en France et ne veut plus entendre parler de l'Italie, mais sa fille Laetitia veut retrouver ses racines. Son ambition est de faire du théâtre; en attendant, elle pose pour un photographe. C'est ainsi qu'elle est amenée à rencontrer Sébastien. Pour tous, c'est le retour à Montechiarro. Je tairai la suite pour le plaisir du lecteur...

On aura compris que Vincent Engel a tissé une véritable toile d'araignée pour relier entre eux ses personnages (que je suis loin d'avoir tous évoqués!). On peut cependant regretter le caractère trop typé de ceux-ci, emprisonnés dans un certain manichéisme : les méchants sont méchants jusqu'au ridicule qui tue... les autres; les victimes sont aussi victimes d'elles-mêmes, de leur propre incapacité à contrer le mauvais sort (figure "romantique", Bonifacio non seulement ne tente rien pour retenir sa femme, mais ne lui en tient même pas rigueur); les hommes jouent le rôle des bourreaux et le rachat ne peut venir que de la femme.
A mon sens, l'auteur abuse un peu des retours en arrière qui ne se justifient pas toujours : c'est par les carnets d'Agnese, dans la troisième partie, qu'on connaît, par bribes, la fin de son histoire commencée dans la deuxième partie; les malheurs de Bonifacio et de son épouse (pp.31-140) auraient pu se situer au début du roman. On comprend cependant que l'auteur ait voulu débuter son roman avec Adriano, l'initiateur des chroniques de Montechiarro que poursuivit son fils Ulysse et, après sa mort, Agnese qui en fit à la fois son journal intime et des lettres pour Sébastien. Mais il le semble que le roman eût gagné en clarté avec une narration plus linéaire.

Il n'en reste pas moins que ce roman foisonnant est digne des plus grandes sagas et ne laisse pas le lecteur sur sa faim.

Montechiarro

 

Vincent ENGEL
Retour à Montechiarro
Paris, Fayard, 2001
Roman, 763 p.

Réédité par le Livre de Poche le 16/04/2003

Analyse réalisée pour la revue Indications 58e série, n° 5– Déc. 2001, pp. 37-39
Reproduction
autorisée moyennant mention de la source, sauf à des fins commerciales

 

 

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