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Lectures de Jacques Paradoms
6 septembre 2007

La Ligne de Partage

Eddy DEVOLDER

La ligne de partage est surtout une histoire de refus : celui de franchir la ligne. Refus engendré par les règlements, les tabous ou simplement l'absence de désir de la franchir.
Dès le début, le refus est annoncé : "Je ne voulais pas aller à l'école, quitter Furnes pour l'internat et apprendre le français."
Belge typique, "hal en half" (moitié-moitié, en flamand), le personnage narrateur est confronté dès son enfance à une ligne de partage : la frontière linguistique. "La meilleure façon d'abolir la frontière linguistique consistait à devenir bilingue." Dans cette école - où il apprend, semble-t-il assez facilement la langue - il découvre une autre "ligne blanche, peinte à la chaux, qui divisait la cour en deux parties égales. Il nous était interdit de la traverser. De l'autre côté, c'était la cour de récréation des filles. L'un de nos jeux consistait à marcher sur la ligne blanche, comme des funambules."
Funambule, il le restera longtemps, surtout avec les femmes, importantes dans l'histoire autant par leur absence que par son refus de les approcher.
A la mort de son grand-père, qui marque son entrée dans l'adolescence, il découvre que celui-ci est le fils de la bonne du curé et, soit l'enfant naturel d'un gitan, soit celui du curé qui a surprit les amants et violé la jeune femme. "Mon grand-père ne sut jamais qui était son véritable père. Il se demanda perpétuellement s'il était le fils de l'amour ou celui de la haine. A ses yeux, il était moitié l'un, moitié l'autre. Dans sa conscience, le curé et le gitan, le représentant de la religion sédentaire et l'incarnation du voyage n'arrêtaient pas de s'affronter, goupillon contre cran d'arrêt [...]" Le goût du voyage, il l'assouvit dans son métier de routier : "Soudain, je comprenais pourquoi ma grand-mère reprochait à mon père de vouloir me transformer en vagabond, en romanichel quand je l'accompagnais dans ses voyages en camion."
Entré à l'Ecole normale primaire de Tournai, bien que les filles ne l'intéressent pas, il sympathise avec Annie. Elle lui prête ses livres et - surprise ! - chaque fois, à la dernière page, , "quelques mots écrits au crayon prolongeaient le texte imprimé. [...] "Pendant des semaines, nous avons ainsi entretenu une correspondance amoureuse à travers les livres qu'elle me prêtait [...] Quand elle me les tendait, je les savais emballés dans des sentiments,enveloppés de grâce." Mais ce que le garçon prenait our un premier amour n'était, pour la fille que de l'amitié. Il la retrouve quelques années plus tard, elle est bibliothécaire : "A la dernière page des livres que j'empruntais, elle imprimait la date à laquelle le livre devait être rendu."
Cet incident sans doute ne devait pas réconcilier avec le beau sexe ce garçon "sérieux, niais et maladroit" qui se méfiait "des flirts et des amourettes d'adolescents". "Camisolé" dans son éducation religieuse, il refuse aussi les avances d'une femme mûre qui, voulant le déniaiser, ne réussit qu'à l'effaroucher avant de la jeter comme un objet inutile.
Plus tard, inscrit à l'Université Libre de Bruxelles, il loue une chambre dans le quartier. Dans l'appartement d'en face, vit une jeune femme seule. Chaque fois qi'il la voit sur son balcon, il la salue sans qu'elle lui réponde jamais. Mais la nuit, il pense à elle. "Mes mains s'ensorcelaient. J'imaginais communiquer avec elle et une éphémère ardeur s'emparait de moi." Un soir, par la fenêtre, elle lui offre la vision de sa nudité. Le lendemain, elle l'aborde dans l'épicerie et l'invite à prendre un verre chez elle. Il s'invente un rendez-vous. "Je ne pensais qu'à détaler. J'ai marché comme un forcéné, comme un fou, la tête baissée, en train de me demander ce qui m'arrivait. Le fantasme devenait réalité. Il suffisait de rebrousser chemin." En traversant la rue, il est fauché par une voiture.
Plus loin, le lecteur apprendra que cet "accident" était inconsciemment voulu. Le personnage manifeste son refus de vivre.
Il passe sa convalescence chez son père. Celui-ci a fait appel à Maryline, une voisine qui s'occupait déjà du ménage quelques heures par semaine. Quelque temps plus tard, le père, victime d'une attaque, entre à l'hôpital. Maryline tient compagnie au jeune homme. "Elle imposa du plaisir à [sa] tristesse et jouit dans un lit imprégné de l'odeur de [son] père." Maisl il lui avouera qu'entre eux, ce n'est pas vraiment de l'amour. Découragée, Maryline se met en ménage avec le facteur.

La ligne de partage est «l'initiation intellectuelle, sentimentale, sexuelle d'un être sensible, respectueux, "camisolé" en quelque sorte, qui s'affranchira progressivement.»

Colette Nys-Mazure (que je viens de citer) a de cette oeuvre une autre approche dans une analyse réalisée pour la revue « Indications
», 60e série, n° 3 de juin-juillet 2003.

La ligne de partage / Eddy Devolder; dessins de Petrus De Man. - Noville-sur-Mehaigne (Belgique), 2003. - 137 p.; 19 cm. - (cousu)

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