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Lectures de Jacques Paradoms
13 septembre 2007

Requiem vénitien

Vincent ENGEL

Un jeune compositeur part à la recherche de la partition d'une messe de Noël composée par son maître trente ans plus tôt.  De Berlin à Montechiarro en passant par Venise et le Pays de Loire, le lecteur retrouve des personnage déjà croisés dans Retour à Montechiarro, tandis que Jonathan écrit la biographie - réelle ou souhaitée - de celui qui ressemble à un artiste maudit.

Le lecteur de Retour à Montechiarro se souvient-il du cortège funèbre que voit défiler le comte Bonifacio Della Rocca (Retour à Montechiarro p.52) et des « deux êtres particulièrement gros et laids » (Ibid. p.55) ? Se souvient-il du compositeur Giacolli vaguement évoqué qui a fui Venise (Ibid. p.57) ? Il se rappelle sans doute le père Baldassare à qui le comte offre une retraite paisible en Toscane. Mais il n’aura peut-être pas prêté attention au « gros sac de voyage usé jusqu’à la corde » qu’il emporte pour tout bagage et qui contient « les dernières compositions d’un ami » (Ibid. p.124).
C’est sur ces détails anecdotiques que Vincent Engel construit son Requiem vénitien, comme un musicien compose une chanson sur quelques accords.

Le livre débute en 1879 par un échange de lettres entre Alessandro Giacolli et Jonathan Celnik. Un soir de cafard et d’ivresse, le compositeur a confié quelques bribes de son passé à son jeune élève. Il a fui Venise trente ans plus tôt pour trouver refuge chez Werner Goldschmidt à Berlin. Hors, le mécène vient de perdre sa femme Hannah et souhaite que son hôte compose une messe en l’honneur de la défunte. Mais depuis son arrivée à Berlin, Giacolli est incapable d’écrire la moindre note. Cependant « une messe de Noël, composée en 1848, aurait pu convenir pour l’enterrement de la juive Hannah, mais elle était sans doute noyée dans les canaux depuis trop longtemps. » (p.15) Alessandro évoque aussi un enfant, Paolo, un neveu orphelin dont il aurait obtenu la garde avec difficulté et qu’il aurait abandonné en France. « Ce fut l’heure fugace de la fragilité et de la sincérité, celle que vous regrettez sans doute amèrement. Vous m’avez murmuré : « Pars, va à Venise, retrouve cette messe. » (p.16)

Comme dans Retour à Montechiarro, Vincent Engel nous livre l’histoire de ses personnages par fragments. Un chapitre de correspondance (d’avril à août 1879) alterne avec deux chapitres de retours en arrière (de décembre 1847 à novembre 1849) qui retracent la vie d’Alessandro Giacolli à Venise. Trois fois un refrain et deux strophes, le refrain, une strophe et le refrain pour finir.

En 1847, dans Venise occupée par les Autrichiens, Alessandro Giacolli est victime des cabales organisées par le marquis Bulbo. Son ami Federico Buonsignoni ne manque jamais de prendre sa défense. Mais à son amitié pour le compositeur s’oppose son amour pour Donatella qui déteste Alessandro dont elle considère la relation avec son compagnon comme responsable de l’insuccès de celui-ci.

Federico projette d’écrire le livret d’un opéra consacré à Daniele Manin, le chef de la révolution et veut qu’Alessandro en compose la musique.

La sœur d’Alessandro, morte six mois plus tôt, souhaitait qu’il devienne le tuteur de son fils, ce qui lui a été refusé. Avec la complicité du père Baldassare, il a parfois l’occasion de s’entretenir en secret avec Paolo. Federico lui propose l’aide d’un avocat proche de Manin dont il fréquente les partisans.

En 1879, Jonathan arrive chez le comte de Villerouge où vit Paolo, héritier du titre et du domaine. Il ne possède pas la partition mais conseille à Jonathan d’aller à Venise, dans la bibliothèque du couvent du père Baldassare.

1848. Alessandro obtient la garde de Paolo. Mais l’artiste bohème n’a pas pensé aux multiples implications de cette charge. Il peut cependant compter sur l’aide d’Anna, une vieille femme qui veille sur lui comme une mère. Elle le conseille aussi dans sa musique, le réconforte lorsqu’il doute et conserve précieusement ses partitions. Le soir, le tuteur donne des cours de chant à son pupille. Il se remet à croire à sa musique, compose des chansons pour l’enfant et une messe de Noël pour remercier le père Baldassare.

Dans le chapitre central, le lecteur assiste à la messe de Noël qui « est tout sauf chrétienne » (p.177). Chaque partie est comme dédiée aux protagonistes présents : le Kyrie pour Allessandro (« Faut-il avoir pitié de toi ? » (p.153) ; le Gloria pour Donatella qui ne peut s’empêcher d’aimer la musique de celui qu’elle déteste (« l’hommage de la haine » (p.156) ; le Credo pour Federico (« Que crois-tu encore ? […] ce n’est pas à Manin qu’il est dédié et c’est presque une trahison. » (p.158) ; « Bénie sois-tu, Anna, qui vis au nom des autres » (p.162) ; l’Agnus dei pour Paolo…

1879. Dans la bibliothèque du couvent de San Pietro, Jonathan est accosté par « un vieillard qui de prime abord [lui] semble repoussant » (p.184) : Asmodée Edern, qui a joué un rôle si important dans Retour à Montechiarro. Il lui apprend que le père Baldassare est mort en 1858 mais qu’il aurait transmis les partitions à un jeune garçon, Adriano Lungo (Tiens ! Tiens !) qui vit en Toscane, à Montechiarro.

1849. Venise est assiégée par les Autrichiens. Federico n’arrive pas à écrire le livret de son opéra à la gloire de Manin – opéra dont Alessandro n’a jamais vraiment eu l’intention d’écrire la musique. Il veut attirer l’attention de son idole… qui le prend pour un fou. Ses ambitions s’effondrent avec Venise. L’intrigante Donatella s’allie avec le marquis dont elle devient la maîtresse pour retirer à Alessandro la garde de Paolo. Sur les conseils de son entourage, Alessandro se décide à quitter avec Paolo cette Venise qui ne le comprend pas et qu’il connaît finalement si mal. « Il traquait la musique de cette ville et ne savait presque rien de ses habitants. » (p.250). C’est Baldassare qui lui conseil d’abandonner Paolo : « […] trop de fantômes l’accompagnent. Je ne les connais pas, je les sens. Paolo a besoin d’une famille… d’une vraie famille qui ne sache rien de Venise. Avec vous, où que vous alliez, vous emporterez Venise, et ses cauchemars finiront par l’étouffer. » (p.257). En partant, Alessandro confie au Père une serviette de cuir grenat :
« – Ce sont toutes mes œuvres.
« – Vous ne les emportez pas ?
« Non. Elles appartiennent à cette ville. Si je pars, je ne veux rien conserver ; ce sera déjà assez dur… » (p.267).
Il lance aussi un ultime défi au marquis en lui faisant parvenir une copie de sa messe de Noël.

A Montechiarro, Jonathan fait la connaissance d’Adriano Lungo, du « merveilleux vieillard qu’est devenu le comte Della Rocca » ; on s’interroge sur le destin de Raphaël von Rüwick et de Lætitia Malcessati, tous des personnages de Retour à Montechiarro. Est-il encore important, à ce stade, de savoir si Jonathan retrouve les partitions et ce qu’il en fait ? La libération de Venise, la fin du marquis et la déchéance de Donatella ne peuvent plus rien changer à la tragédie d’Allessandro Giacolli dont Jonathan Celnik est devenu malgré lui le biographe bien imparfait.

Requiem_v_nitien

 

Vincent ENGEL
Requiem vénitien
Paris, Fayard, 2001
Roman, 338 p.; 24 cm.
ISBN 2-213-61451-2 (collé) : 21, 35 €

 

Analyse réalisée pour la revue Indications 61e série, n° 3 – Jui-Juill. 2004, pp.63-66
Reproduction autorisée moyennant mention de la source, sauf à des fins commerciales.

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