Pensées secrètes
David LOGE
Ralph Messenger est professeur de sciences cognitives à l’Université de Gloucester. Les sciences cognitives désignent « l’étude systématique du fonctionnement de l’esprit » (p.58). Il tente une expérience sans trop savoir où elle va le mener : « enregistrer les pensées fortuites ». L’idée est « d’obtenir des données brutes » (p. 237) en tentant de penser à haute voix devant un dictaphone.
Helen Reed, auteure de romans, remplace le professeur chargé du cours de création littéraire dans la même université. Fragilisée par son récent veuvage, elle tient un journal intime. Pour elle, « c’est une sorte de gymnastique pour entretenir [sa] musculature d’écrivain » (p.237).
Le roman alterne entre les enregistrements de Messenger et le journal d’Helen Reed, parfois entrecoupés par le récit d’un narrateur extérieur.
Enregistrements et journal nous donnent accès aux « pensées secrètes » des deux héros, plus structurées dans le journal, plus vagabondes dans les enregistrements.
Au cours des multiples événements qui émaillent la vie universitaire, les deux protagonistes vont échanger leurs opinions, (oh ! combien divergentes !) sur la pensée, la connaissance, la religion – l’un évoquant Darwin, l’autre citant Henri James – avant de se lancer dans le jeu subtil de la séduction.
Marié à Carrie, Messenger n’est pas un modèle de fidélité conjugale. Alors qu’il est venu chez elle pour aider Helen à « maîtriser l’e-mail, il s’est invité à déjeuner » (p.242) et tente en vain de la séduire. (Leur correspondance électronique qui s’en suit – avec les fautes de frappe habituelles et l’abandon des majuscules – serait-elle un exemple d’un nouveau romantisme ?) Si la jeune femme est tentée, (il est la premier à l’attirer physiquement depuis la mort de son mari) elle le repousse avec gentillesse, par fidélité à la mémoire de son mari autant que par respect pour Carrie dont elle est devenue l’amie. Jusqu’au jour où elle apprend que son mari l’a trompée. Jusqu’au jour où elle découvre que Carrie aussi trompe Ralph. « Sous ce nouvel éclairage, les principes au nom desquels Helen avait repoussé les avances de Messenger étaient caducs » (p.357). Lors d’un séjour de Carrie au Etats-Unis, Ralph et Helen vivent quelques semaines d’amour intense. Mais lorsqu’on craint que Messenger souffre d’un cancer du foie, elle se rend compte qu’en tant que maîtresse elle n’occupera jamais que la deuxième place.
Le même épisode est souvent conté par les deux et l’intérêt réside dans la différence des styles et des points de vue : le style froid, plus décousu (il s’agit de pensées brutes souvent désordonnées) avec des digressions et des références scientifiques de Messenger et celui plus narratif, plus recherché aussi et, partant, moins spontané de l’écrivaine (lorsqu’elle parle de la première fois où il s’est abandonnée à son amant, elle ne peut parler d’elle qu’à la troisième personne). Différence aussi de perception des événements : au point de vue du scientifique froid, agnostique, volage et parfois cynique répond à celui plus « humain » de la littéraire, d’origine catholique et sentimentale, amoureuse de Messenger alors que pour lui, seuls comptent le sexe… et, finalement, sa femme.
Pensées secrètes est l’histoire du dérapage de ce qui aurait pu être une belle amitié entre un homme et une femme, mais qui n’avaient finalement pas grand-chose en commun. L’association de la science et de la littérature aurait-elle plus de chance ?
PENSÉES SECRÈTES
David LODGE
Paris, Rivages, 2003
(Rivages Poche, 448)
Traduit de l’anglais par Suzanne V. Mayoux
Roman, 456 p.
/http%3A%2F%2Fecx.images-amazon.com%2Fimages%2FI%2F5132ARgJOOL._SX195_.jpg)
/https%3A%2F%2Fstorage.canalblog.com%2F38%2F73%2F359778%2F133676335_o.png)
/https%3A%2F%2Fassets.over-blog.com%2Ft%2Fcedistic%2Fcamera.png)