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Lectures de Jacques Paradoms
30 juillet 2021

La sonate oubliée

Christiana MOREAU

Seraing, en Belgique, est une ancienne ville industrielle avec des « ruelles transversales quadrillant un quartier ensommeillé dans l’abandon des fermetures d’usines. […] Le tout dernier haut-fourneau vient de fermer après des décennies de déclin. »  Mais les autorités communales ont décidé de rénover ce chancre industriel par la construction d’appartement, bureaux, centre commercial, pistes cyclables, espaces piétonniers et zones vertes.  C’est ce décor en chantier que traverse Kévin, un adolescent, pour se rendre chez son amie Lionella.

À 17 ans, Lionella, d’origine italienne, ne vit que pour la musique.  Alors qu’elle n’avait que 5 ans, ses parents l’avaient inscrite à un cours de violon.  « Son grand-père avait emporté son violon dans ses maigres bagages d’émigrés : il sonnait comme une crécelle mais l’avait consolé du mal du pays. »  Son frère aîné pratiquant déjà le violon depuis quelque temps, elle se disait qu’elle ne pourrait jamais le rattraper et n’avait d’ailleurs pas envie d’entrer en compétition avec lui.  Après deux ans d’hésitation, elle se tourna vers le violoncelle.  « Déjà toute petite, elle se sentait en osmose avec cet instrument si sensuel qu’on enlace presque comme un corps. »

Mais aujourd’hui, elle a un souci : son professeur l’a inscrite à un prestigieux concours et elle ne sait quelle pièce jouer.  Quelques jours plus tard, son ami Kévin lui offre un coffret métallique qu’il a déniché chez les brocanteurs et qui contient un livret et une liasse de papiers jaunis.  Le livret, rédigé en italien ancien mais que Lionella parvient à déchiffrer, se révèle être le journal intime d’Ada qui vécut au 18e siècle.  Quant à la liasse, c’est une partition pour violoncelle dans le style des sonates de Vivaldi.  Lionella a trouvé le morceau à présenter au concours.

Dès lors, l’histoire se raconte à deux voix : celle de Leonella qui vit aujourd’hui et celle d’Ada au 18e siècle.

Abandonnée à sa naissance, Ada a été déposée à l’Ospedale della Pietà de Venise.  Une mère nourricière employée par la Pietà l’éleva pendant trois ans.  Ensuite elle rejoignit les filles de l’hospice qui y étaient employées selon leurs aptitudes : les moins douées soignaient les malades, fabriquaient des objets d’artisanat, comme dentelles et broderies vendues au profit de la Pietà.   Toutes devaient rester et travailler à l’ospedale jusqu’à leurs quarante ans afin de rembourser les soins qu’on leur avait apportés. Plus douée, Ada apprit la couture et la broderie mais aussi la lecture, l’écriture les mathématiques, le latin et, surtout, la musique, sous la direction de l’abbé Vivaldi à qui elle voue une grande admiration.

Alors qu’elle a environ 17 ans, le Maître commande pour elle un nouveau violoncelle chez son luthier préféré Mateo Gofriller.  Le précieux instrument bouleverse sa vie « par sa beauté, son élégance, sa profondeur, sa noblesse majestueuse, la chaleur de ses vibrations. […] Sa place est entre mes cuisse, je l’attire tout contre moi et l’entoure de mes bras. Dès que je le touche de l’archet, il frémit, dévoile son chant grave et fait vibrer mon cœur.  Ce sortilège qui m’emporte loin de la réalité me fait goûter à de divines voluptés. »

Tout en s’entraînant à jouer la sonate, Leonella poursuit petit à petit la lecture du journal d’Ada avec qui elle se sent de plus en d’affinités.

Après maintes hésitations, Leonella fait part à son professeur de son choix pour le concours et lui présente la copie qu’elle a faite de la Sonate pour violoncelle.  Le professeur connaît les ospedali vénitiens et la qualité de leur enseignement musical.  Mais il craint les difficultés pour faire authentifier le document sorti de l’oubli et, surtout, il serait trop tard pour le concours.  Tous deux décident de présenter l’œuvre comme une sonate pour violoncelle de Vivaldi, sans autre précision ; ni le public, ni le jury ne la reconnaîtront, ce sera la surprise.

La surprise est telle que, bien que n’ayant remporté que la deuxième place, les médias s’intéresse plus à elle qu’au lauréat.  Elle est invitée à jouer lors d’une soirée de gala au cours de laquelle, elle reçoit en prêt, pour cinq ans, « un splendide violoncelle Gofriller qui, ironie du sort, la ramenait une fois de plus vers Ada. »

Mais en continuant la lecture du journal d’Ada, certains éléments font douter Leonella de la paternité vivaldienne de l’œuvre. Je laisse au lecteur le plaisir de découvrir la vérité.

La sonate oubliée est le premier roman de Christiana Moreau et pour un coup d'essai, c'est un coup de maître.  À la façon dont elle parle de la musique et des techniques de jeu, j'étais convaincu que l'auteure était elle-même musicienne.  Et bien non !  À la fin du livre, une très brève biographie m'a appris que si elle est quand même une artiste belge autodidacte et vivant à Seraing, son art est la peinture et la sculpture.

La sonate oubliée
Christiana Moreau
Paris : Librairie Générale Française, 2017
249 p. ; 18 cm.
ISBN 978-2-253-23804-1
Édition numérique : 183 p. - ISBN 978-2-253-90490-8

 

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