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Lectures de Jacques Paradoms
30 juin 2019

Raphaël et Laetitia

Vincent ENGEL

Raphaël et Lætitia est une histoire gigogne : à la fin d’une soirée, le narrateur - anonyme - raconte qu’au cours d’une visite à Paris, il a fait la rencontre d’un certain Aristide Morgan. Celui-ci lui a conté l’histoire de Raphaël von Rüwich tombé éperdument amoureux de Lætitia Malcessati. Ce récit occupe la plus grande partie de cette novella (43 pages sur les 60).
« Jusqu’à ses vingt ans, Raphaël vécut une existence paisible, dans un environnement et des certitudes apparemment indestructibles. Ces parents adoptifs, le comte et la comtesse von Rüwich, avaient si bien été ses parents qu’ils avaient su faire oublier à Raphaël qu’il n’était pas de leur union. […] L’unique trace que l’enfant conservait de ses parents était son prénom […] Avec le temps, il parut parfaitement adapté à cet être gracieux dont les longues boucles noires, les yeux sombres et les traits fins étaient plus latins que germains. » (p. 16-17) À vingt ans, Raphaël profitait de sa jeunesse mais « n’en faisait pas un usage débridé et ne l’aurait sacrifiée pour nulle cause. Ce parti riche et beau était la coqueluche des jeunes berlinoises et des mères soucieuses de bien marier leur fille.
Pour ses vingt-deux ans, ses parents adoptifs organisèrent une fête somptueuse suivie d’un bal masqué. La rumeur voulait qu’à cette occasion, Raphaël choisisse « celle qui partagerait sa vie et sa fortune. » Pour les invitées, cette soirée prenait l’allure d’une joute galante à laquelle le principal intéressé restait indifférent. La veille du grand jour, une duchesse proche des von Rüwich demanda si une invitée imprévue pouvait s’ajouter : la fille d’une lointaine cousine italienne, la princesse Malcessati. Au dîner, les hasards du protocole placèrent Lætitia en face de Raphaël et toutes les certitudes du jeune homme s’effondrèrent : « Comme deux rayons de soleil égarés dans la brume s’unissent et ressuscitent l’astre, comme deux bras d’un fleuve coupé par une île se rejoignent et forment un courant plus puissant, comme deux frères d’une famille dispersée se retrouvent et refondent les liens brisés, Raphaël et Lætitia ne s’étaient pas rencontrés ; ils s’étaient reconnus pour pairs, unis par quelque force souveraine qui s’était mise en branle pour les retrouver et les attacher enfin l’un à l’autre, indissolublement. » (p.34) Le soir, les déguisements et les masques ne les empêchent pas de se reconnaître.
Dès lors, ils se rencontrèrent tous les jours. Le comte et la comtesse furent enchantés, de même que la duchesse. Avant d’envisager le mariage, il convenait toutefois d’obtenir le consentement de la princesse dont la venue était d’ailleurs imminente. Certaine de son accord, la duchesse lui écrit brièvement. Sitôt avertie, la princesse fit atteler et ralia Berlin sans étape. Arrivée à l’aube, elle appela sa fille, exigea qu’on fît ses valises et « sans la moindre explication ni même prendre le temps de déjeuner, comme si elle fuyait un péril extrême, une épidémie de peste, une invasion imminente », elle emmena Lætitia « désespérée et ruisselante de larmes ».
Pendant une semaine, Raphaël délira, rongé par la fièvre. Ses parents ainsi que la duchesse finirent par se convaincre que la princesse ou sa fille était folle ou atteinte d’une terrible maladie. Dans tous les cas, une telle union eût été périlleuse. Raphaël fit semblant de se rallier à cette opinion. Mais il n’oubliait rien.
Quelques semaines plus tard, il proposa à son père de le remplacer pour un important voyage en France à la suite duquel il prendrait quelques vacances. Il traita rapidement l’affaire et fit route vers la Provence. Il confia au patron d’une auberge le soin de poster à des dates précises des lettres pour ses parents et repartit pour l’Italie. Au bord du lac de Garde, il apprit que les Malcessati vivaient sur une île à quelques kilomètres de là. Aussitôt, il s’embarqua. Mais il ne trouva personne, sauf Aristide Morgan, l’auteur du récit. La princesse l’avait chargé de réaliser l’inventaire et la vente du château et des objets qu’elle y a abandonnés et de lui porter le produit de la vente à Venise à une adresse que le notaire devait lui donner au moment opportun. Raphaël veut aussitôt partir pour Venise. Aristide Morgan l’en dissuade : Venise est une ville pleine de secret où il a peu de chance de les retrouver mais où il risque de se faire repérer et de perdre à nouveau la trace de sa bien-aimée. Morgan lui propose de l’aider à dresser l’inventaire puis de l’accompagner à Venise. Raphaël accepte durant quelques jours mais, trop impatient, il rallie Venise seul. Mais le notaire apprend à Morgan que la princesse l’a déchargé de sa mission et a quitté Venise. Il se rend cependant à Venise mais n’y trouve aucune trace de Raphaël ni de Lætitia. Il écrivit encore à Raphaël à Berlin mais ne reçu pas de réponse. Il apprit plus tard que ses parents étaient décédés et que le jeune homme avait tout vendu pour partir en Amérique. « Mais je ne pus savoir s’il était parti seul ou avec Lætitia, ni même s’il partait toujours poussé par ce fol espoir de la retrouver, ou par la désespérante certitude de l’avoir à jamais perdue. » (p.69)
Les invités du narrateur, comme lui-même, restèrent sur leur faim de savoir. Cette histoire a pourtant sa chute que je ne révélerai pas.

On peut néanmoins connaître la fin des amours de Raphaël et de Lætitia en lisant Retour à Montechiarro
Dans ce volumineux roman, Vincent Engel ne raconte plus la rencontre entre les deux jeunes gens mais bien les péripéties qui les amènent à se retrouver. 

Il est intéressant de noter que, quelques années plus tard, un certain Sébastien (et non Aristide) Morgan joue un rôle important pour la mère d'une autre Lætitia et pour cette Lætitia elle-même, l'arrière-petite-fille de la Lætitia de Raphaël. Mais saura-t-on un jour les raisons qui ont poussé la princesse à tenter de dérober Lætitia à l'amour de Raphaël ?

Oui, car en 2016, Vincent Engel nous livre l'intégrale de cette histoire dans "Le miroir des illusions"

Raphaël et Lætitia / Vincent Engel. - [Paris] : Mille et une nuits, 2003. - 70 p.; 20 cm. - ISBN 2-84205-723-6 (collé)

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